LE VIN ET SA DEGUSTATION
Le vin est un produit complexe, noble, sacralisé, qui a inspiré l'homme dès l'aube de la civilisation. Si ses origines remontent au XXXe s. av. J.C., le vin est associé, depuis le moyen âge, à l'image d'un homme profondément religieux et sensible aux symboles.
La bible ne mentionne pas moins de quatre cents fois la vigne et le vin. Le thème le plus fort est certainement celui de Josué et Caleb, deux éclaireurs envoyés par Moïse pour explorer la Palestine, qui rapportent la grappe géante de Canaan, image de la merveilleuse fertilité de la terre promise.
La représentation du Christ dans le pressoir est un symbole mystique, allégorie de ses souffrances. Elle illustre la prophétie d'Esaïe ( 63, 3 ) : "J'ai été seul à fouler au pressoir, et nul homme d'entre les peuples n'était avec moi ; je les ai foulés dans ma colère, je les ai écrasés dans ma fureur ; leur sang a jailli sur mes vêtements, et j'en ai taché tous mes habits."
Le cep est le symbole du Christ et de la vie éternelle, le vin est son sang, o combien apaisant dans Les Proverbes de la Bible ( Ve s. av. J.C. ) :
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Procure des boissons fortes à qui va périr,
Du vin au coeur rempli d'amertume
Qu'il boive ! qu'il oublie sa misère !
Qu'il ne se souvienne plus de sa peine
Paul CLAUDEL - La mission du vin
Le vin, et je parle aussi bien de ce breuvage impersonnel et courant qui rafraîchit l'honnête soif du travailleur que de ces crus antiques dont le blason empanaché honore l'armorial de nos plus belles provinces, le vin a une triple mission, il est le véhicule d'une triple communion. La communion tout d'abord avec la terre maternelle... de qui il reçoit à la fois âme et corps. En second lieu la communion avec nous-mêmes. C'est le vin tout doucement qui échauffe, qui dilate, qui épanouit les éléments de notre personnalité... qui nous ouvre sur l'avenir les perspectives les plus encourageantes. Le vin est le professeur du goût, le libérateur de l'esprit et l'illuminateur de l'intelligence. Enfin le vin est le symbole et le moyen de la communion sociale ; la table entre tous les convives établit le même niveau, et la coupe qui y circule nous pénètre, envers nos voisins, d'indulgence, de compréhension et de sympathie.
J. K. HUYSMANS - éloge à la dégustation dans "à Rebours"
" Il pensait que l'odorat pouvait éprouver des jouissances égales à celles de l'ouïe et de la vue, chaque sens étant susceptible, par suite d'une disposition naturelle et à une érudite culture, de percevoir des impressions nouvelles, de les décupler, de les coordonner, d'en composer ce tout qui constitue une oeuvre ; et il n'était pas en somme, plus anormal qu'un art existât en dégageant d'odorants fluides, que d'autres en détachant des ondes sonores, ou en frappant de rayons diversement colorés la rétine de l'oeil... "
Peu à peu, les arcanes de cet art, le plus négligé de tous, s'étaient ouverts devant lui. Il déchiffrait maintenant cette langue variée aussi insinuante que celle de la littérature, ce style d'une concision inouïe sous son apparence flottante et vague.
Pour cela il lui fallut travailler la grammaire, comprendre la syntaxe des odeurs et se bien pénétrer des règles qui les régissent, et après cela comparer les oeuvres des maîtres.
Charles BAUDELAIRE - le vin, une source de vigueur
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Tu lui verses l'espoir, la jeunesse et la vie,
- Et l'orgueil, ce trésor de toutes gueuseries,
Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux.
le vin, un ferment de l'amitié
Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles :
" Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité
J'allumerais les yeux de ta femme ravie ;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs.
le vin, un philtre d'amour
Aujourd'hui l'espace est splendide
Sans mors, sans éperon, sans bride
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin
Ma soeur, côte à côte nageant,
Nous fuirons, sans repos ni trêves
Vers le paradis de mes rêves !
le vin, invitation à l'oubli
Profondes joies du vin, qui ne vous a connues ?
Quiconque a un remord à apaiser, un souvenir à évoquer, une douleur à noyer, un château en Espagne à bâtir, tous, enfin, vous ont invoqué dieu mystérieux caché dans les fibres de la vigne. Qu'ils sont grands les spectacles du vin illuminés par le soleil intérieur, qu'elle est vraie et brûlante, cette seconde jeunesse que l'homme puise en lui !
Mais combien sont redoutables aussi ses voluptés foudroyantes et ses enchantements énervants. Et, cependant, en votre âme et conscience, juges, législateurs, hommes du monde, vous tous que le bonheur rend doux, à qui la fortune rend la vertu et la santé faciles, dites, qui de vous aura le courage impitoyable de condamner l'homme qui boit du génie.
Daniel ROUCHER - Adieu Petrus
La première leçon du vin, c'est la tolérance. La tolérance est faite d'imagination et de raison. La première favorise le goût des découvertes, la seconde n'autorise aucun nombril à être le centre du monde. Le vin, comme le livre, est un produit de l'homme, le résultat d'un effort, souvent le fruit de choix effectués dans la solitude, une étrange victoire sur l'angoisse.
MOLIERE / Bouteille jolie - "le médecin malgré lui"
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Qu'ils sont doux,
Bouteille jolie,
Qu'ils sont doux,
Vos petits glouglous ;
Mais mon sort ferait bien des jaloux,
Si vous étiez toujours remplie.
Ah ! bouteille, ma mie,
Pourquoi vous vuidiez-vous ?
Première chanson à boire - "le Bourgeois gentilhomme"
Un petit doigt, philis, pour commencer le tour,
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Ah ! qu'un verre en vos mains a d'agréables charmes !
Vous et le vin, vous vous prêtez des armes,
Et je sens pour tous deux redoubler mon amour :
Entre lui, vous et moi, jurons, ma belle,
Une ardeur éternelle.
Qu'en mouillant votre bouche il en reçoit d'attraits,
Et que voit par lui votre bouche embellie !
Ah ! l'un et l'autre ils me donnent envie,
Et de vous et de lui je m'enivre à longs traits :
Entre lui, vous et moi, jurons, jurons, ma belle,
Une ardeur éternelle.
Seconde chanson à boire
Buvons, chers amis, buvons :
Le temps qui fuit nous y convie ;
Profitons de la vie
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Autant que nous pouvons.
Quand on a passé l'onde noire,
Adieu le bon vin, nos amours ;
Dépêchons-nous de boire,
On ne boit pas toujours.
Laissons raisonner les sots
Sur le vrai bonheur de la vie ;
Notre Philosophie
Le met parmi les pots.
Les biens, le savoir et la gloire
N'ôtent point les soucis fâcheux,
Et ce n'est qu'a bien boire
Que l'on peut être heureux.
Sus, sus de vin partout versez, garçons, versez,
Versez, versez toujours, tant qu'on vous dise assez.
Omar KHAYYAM - QUATRAINS
XI
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Aujourd'hui refleurit la saison de ma jeunesse ;
J'ai le désir de ce vin d'où me vient toute joie.
Ne me blâme pas : même âpre il m'enchante ;
Il est âpre parce qu'il a le goût de la vie.
XVI
Lève-toi, donne-moi du vin, est-ce le moment des vaines paroles ?
Ce soir, ta petite bouche suffit à tous mes désirs.
Donne-moi du vin, rose comme tes joues...
Mes voeux de repentir sont aussi compliqués que tes boucles.
XXXVI
Bois du vin...c'est lui la vie éternelle,
C'est le trésor qui t'est resté des jours de ta jeunesse :
La saison des roses et du vin, et des compagnons ivres !
Sois heureux un instant, cet instant c'est ta vie.
XXXVIII
Je bois du vin, et l'on me dit, à droite et à gauche :
"Ne bois pas de vin, c'est l'ennemi de la religion !"
Quand j'ai su que le vin était l'ennemi de la religion,
J'ai dit :"Par Allah ! laisse-moi boire son sang, c'est un acte de piété."
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LXIX
Prends soin de me réconforter avec une coupe de vin
Et de donner à ma peau ambrée la couleur du rubis.
Quand je mourrai, lave-moi avec du vin,
Et fais avec du bois de vigne les planches de mon cercueil.
LXXVIII
Le vin est défendu, car tout dépend de qui le boit,Et aussi de sa qualité et de la compagnie du buveur.
Ces trois conditions réalisées, tu peux dire :
Qui donc boit du vin, si ce n'est un sage ?
CXXVIII
On ne peut consumer de tristesse le coeur empli de joie,
Ni détruire le plaisir de vivre en le passant à la pierre de touche.
Il n'est personne qui sache le secret du futur ;
Ce qu'il faut, c'est du vin, l'amour et le repos à discrétion.
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