MECANISME DE DEGUSTATION
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Le goût est finalement une impression d'ensemble, il est la synthèse des sensations induites par l'aliment qui sollicitent nos sens de manières différentes.
Dans un premier temps, nous allons décrire les aspects physiologiques de la dégustation par l'appareil sensoriel et les sens dont il dispose. Ensuite, nous aborderons les problèmes relatifs à l'interprétation et à la traduction des informations
PROPRIETES PHYSIOLOGIQUES DE L'APPAREIL SENSORIEL
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La transduction
Chaque organe responsable d'un sens joue le rôle d'un capteur d'information par l'intermédiaire de cellules sensorielles en liaison avec des neurones spécifiques de cet organe. Les propriétés organoleptiques de l'aliment excitent les terminaisons correspondantes qui émettent un signal électrique, amplifié avant d'arriver au cerveau : elles constituent un stimulus pour l'organe des sens concerné.
Le codage de l'information
L'intensité du stimulus est variable, cela entraîne une modification de fréquence du signal correspondant. Au-delà d'une certaine intensité, le capteur peut être saturé, induisant la mise en service d'autres récepteurs. L'information alors recueillie par le cerveau est plus complexe et se traduit par une réponse différente. Une substance odorante très concentrée n'est pas perçue comme à sa concentration habituelle, généralement très faible dans le vin. Les stimuli ne sont pas identifiés par des récepteurs spécifiques, ils se différencient par leur image topographique. Elle est crée par le nombre de récepteurs sollicités, leur répartition spatiale, et l'intensité de leurs effets. Cette image est le message que notre cortex cérébral analyse et reconnaît. Elle est analogue à un tableau lumineux dont chaque ampoule est éteinte ou éclaire avec sa propre intensité.
Le traitement de l'information
L'information, complexe et peu fiable, va être transformée en un signal stable et contrasté. Les organes responsables sont les centres intermédiaires : le corps grenouillé pour la vue et le cortex piriforme pour l'odorat. Ce traitement est assuré par les synapses inhibitrices qui amplifient les contrastes ; elles suppriment ou atténuent les signaux en provenance de zones homogènes et identiques, et éliminent les "bruits de fond". Ce mécanisme de filtre permet de s'affranchir de l'ambiance olfactive.
L'intégration de l'information traitée
Ce chapitre est mal connu. Le signal électrique est identifié et mémorisé dans les hémisphères cérébraux ; il est pris en compte pour déclencher un comportement adapté. Les paramètres culturels et psychosociologiques interviennent dans la réaction. Dans l'hypothalamus, on trouve une zone de projection, ou zone d'agrément. Le message s'accompagne ainsi d'une sensation de plaisir plus ou moins grande ; ce sentiment se renouvelle à chaque sollicitation.
On distingue : les sens directs (gustatif, olfactif, somesthésique), caractérisés par des informations provenant de capteurs en contact avec le produit.
les sens indirects (visuel, auditif), dont l'action sur les mécanismes d'appétence et de satiété se fait par voies associatives, dans le cortex. La perception du stimulus repose sur une connaissance préalable et personnelle.
La vue
Souvent négligé dans la dégustation, elle représente 40% du message sensoriel d'un produit. Par l'intermédiaire du cerveau, elle intègre les informations des cent trente millions de récepteurs (par oeil) sensibles à la lumière. On apprécie l'état (liquide, visqueux, solide), l'aspect, la forme et la couleur du produit. La vue permet une comparaison simultanée avec un référentiel et joue un rôle important dans l'appétence. Cependant, elle s'exerce souvent par association et induit des erreurs.
L'ouïe
Elle n'influe pas sur la dégustation d'un vin et rarement sur celle d'un aliment (croquant d'une pomme). Elle ne sera donc pas évoquée.
L'olfaction
Sens de plaisir et d'alerte, l'odorat est le sens le plus archaïque. La muqueuse olfactive a une surface de 2 à 3 cm2 chez l'homme, contre 20 cm2 chez le chat et de 30 à 100 cm2 chez le chien. Elle est constituée de cellules réceptrices, terminaisons nerveuses se renouvelant tous les 100 jours.
Les effluves engendrent des informations électriques envoyées au thalamus et à l'hypothalamus, centre hédonique. Selon Mac Load, l'odorat représenterait 90% de l'information organoleptique.
Une substance odorante doit d'abord être volatile: elle doit posséder de faibles forces d'interaction avec le milieu dans lequel elle se trouve. Or, le vin renferme une proportion importante d'eau et les composés volatils y sont peu solubles. Ils ont tendance à s'adsorber sur les macromolécules ou se concentrent aux interfaces vin/verre et vin/air. Sur ce dernier, on observe un film mince d'un liquide de degré alcoolique supérieur, constitué de molécules moins solubles dans l'eau. Les plus petites et les plus hydrophobes vont quitter le liquide pour former l'odeur du vin.
Lorsqu'on fait percoler le vin dans la bouche et qu'on y fait circuler de l'air le rapport surface/volume augmente considérablement. On perçoit alors d'autres ensembles de molécules, par voie rétro nasale, qui constituent l'arôme du vin . On y retrouve les même composés que par olfaction directe mais dans des proportions différentes.
Les produits volatils ont des propriétés odorantes très variables que l'on mesure par le seuil de perception. C'est la concentration, dans l'eau ou le vin, à partir de laquelle 50% des dégustateurs détectent la présence d'un produit.
On le caractérise par le seuil de reconnaissance, teneur minimale qui permet à 50% des dégustateurs d'en préciser la nature.
La plupart des seuils ont été mesurés dans l'eau, individuellement, sans tenir compte des phénomènes de masquage ou d'additivité. Ces derniers n'interviennent pas aux concentrations des seuils de perception, excepté pour l'acétate d'éthyle qui masque les autres esters.
En revanche, à des stades de perception plus importants, il y a additivité (ou synergie) pour des odeurs proches, et masquage (ou suppression) pour des odeurs très différentes.
Le goût
La bouche nous permet de percevoir les stimuli gustatifs fondamentaux, molécules sapides incluses dans une phase liquide, qui viennent au contact des papilles (3000 récepteurs de la langue). Une papille est constituée de cellules sensorielles (un demi million) qui se renouvellent tous les 7 à 1 0 jours.
Chacune d'elles est reliée au cerveau par un nerf et les zones sollicitées sont les mêmes que celles de l'odorat. Par ce biais, on détecte une infinité de stimuli qui ne seront classés, dans le cortex central, qu'en 4 catégories seulement : sucré, salé, amer et acide.
On pensait que les papilles étaient spécifiques de chaque saveurs ( schéma de la langue et des zones de perception). On admet aujourd'hui qu'elles détectent toutes les sensations et fonctionneraient comme un panneau lumineux. chaque papilles serait une ampoules s'allumerait en fonction de sa perception, et l'ensemble restituerait une image du goût au cerveau ; cependant, on observe, sur la langue, des zones préférentielles d'identification de chaque stimulus. La répartition de ces aires induit un décalage dans la perception des saveurs.
attaque ----------------- évolution ------------- impression finale
2 à 3s ----------------------------------------------- 5 à 12 s
dominance sucrée----------sucrée, acide et amer --------- acide, amer dominent
On perçoit aussi des sensations chimiques, qui se traduisent par des impressions de piquant, de brûlant, de métallique, d'astringence, de rafraîchissant, etc... . Elles sont enregistrées par les terminaisons libres du tri-jumeau au sein des muqueuses linguales, pharyngées et nasales, pour être transmises au thalamus.
Enfin, on analyse des sensations physiques, qui constituent la somesthésie. Par mastication et succion, les récepteurs tactiles (200 par cm2) apprécient la densité, la texture, la consistance, le volume et la température du produit dégusté.
Cette étape est sans doute la plus difficile à maîtriser parce qu'elle est liée à des facteurs psychosociologiques. On constate que la sensation organoleptique est 'associée à une image dont la construction fait appel à des mécanismes innés et acquis.
Un nouveau-né, par des réactions faciales, manifeste un réflexe de plaisir au contact du sucré et un rejet au contact de l'amer. Il possède déjà des notions qui le font réagir à certains stimuli.
On note aussi l'importance de la mémoire, de l'expérience et de la culture dans la dégustation. Tout nouveau stimulus conduit à l'établissement d'analogies avec des sensations antérieures ; il induit une réponse construite. Ce processus adaptatif, intelligent, nous permet de progresser, grâce à la pratique et à la mémoire. Il s'oriente différemment selon l'expérience du dégustateur. Un adolescent, par opposition et par désir de s'affirmer, est attiré par de nouveaux goûts. Leur association est souvent éclectique, simple, sans grande recherche. En revanche, l'adulte privilégie des stimuli à la complexité grandissante, dont le mariage est élaboré et harmonieux. Ce stade est temporaire, propre à chaque individu. Il a une valeur limite au-delà de laquelle il y a momentanément rejet. L'adaptation à ce nouveau degré est possible grâce à une sollicitation répétitive.
La notion de préférence, liée au milieu culturel, intervient dans l'appréciation. L'homme est omnivore et s'adapte à des alimentations très différentes. Cependant, chaque groupe a une gastronomie qui lui est propre et une même nourriture permet à l'individu de s'intégrer. Dans notre cas, cette attitude artificielle est préjudiciable à l'objectivité de la dégustation. S'affranchir de ce comportement nous demandera un effort particulier et constant.
Le désir de communiquer nos propres sensations se heurte à l'ambiguïté du langage et à l'emploi d'un vocabulaire qui ne se réfère pas, individuellement, aux même sensations. On apprendra donc à utiliser des mots porteurs du même sens pour tous, en tenant compte des parlers locaux, issus d'un répertoire riche, de manière à décrire précisément les produits dégustés.
En premier lieu, on constate qu'il n'y a pas de vocabulaire du goût ; on procède par analogie avec d'autres secteurs sensoriels, en évoquant plutôt qu'en décrivant. En revanche, les sensations olfactives sont plus riches et complexes, donc moins bien codifiées. En général, la richesse du vocabulaire va de paire avec la qualité du vin, encore qu'un vin parfait se passe de commentaire. En tout cas, on s'efforcera de déguster, puis de décrire à la manière d'une explication de texte. De plus, le vocabulaire est utilisé en fonction de l'objectif de la dégustation; à titre professionnel, elle permet de :
- rechercher et identifier des qualités ou des défauts ,
- classer les produits par ordre de préférence, évaluer la conformité d'un échantillon par référence à un étalon, mesurer l'homogénéité des lots, apprécier un seuil de perception ou l'incidence d'une technique.
Le commentaire est souvent concis et précis, limité à la citation des aspects positifs ou négatifs des vins. Codifié, l'exercice acquière une répétabilité.
Pratiquée en amateur, la dégustation est un agrément. Elle se limite à une description sommaire du produit, liée aux émotions sensorielles ; elle est plus imagée et subjective. Chacun possède son référentiel et induit une certaine subjectivité due à sa culture ; il devient ésotérique.
Le journaliste est un trait d'union entre le professionnel et l'amateur, il a un rôle de vulgarisation et de démocratisation.
En tout état de cause, un grand dégustateur aura des aptitudes à percevoir et à décrire, à parler du vin avec précision et universalité.
Les romains et les Grecs ont donné une appréciation du potentiel viticole des régions en utilisant une centaine de termes.
Rabelais ne décrit pas réellement, Montaigne et Olivier de Serres sont succincts ; on a plus affaire à des références poétiques qu'à de réels documents techniques.
Dès le XVIIIe siècle, l'avènement des vins de qualité au dépend des "vins de quantité" provoque l'instauration d'une hiérarchie qui justifie le développement d'un vocabulaire spécifique:
Maupin (1780) - 40 mots
Chaptal (1807) - 60 mots dont oenologue
Jullien (1832) - 70 mots dont tanins
Fauré (1844) - 80 mots dont astringence
Feret (1896) - 180 mots
Got Norbert (1955) - 250 mots
Ferte (1962) - 450 mots
Vedel (1972) - 900 mots dont 400 chimiques
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